La Chair des mots

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PAIN

Poésie

Chantez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute.

Anna Marly, Joseph Kessel et Maurice Druon, Le Chant des partisans

Étymologie

Pain < lat. panis < (Jacqueline Picoche) *pasnis = le pain (très vraisemblablement apparenté à pascere = paître). La rac. du sanscrit pa- = nourrir (pita = le pain) permet de relier en une seule famille les mots lat. pasta, pascere ou pasci et panis. L’i.-e. présente une racine *pH2-st- (past-) qui renvoie a ce qui est solide, qui fait bloc.
De son côté, pâte < bas lat. pasta = la pâte < grec pasta = la bouillie, le plat de mets broyés ensemble, la bouillie d’orge < grec pastos = saupoudré < passein = verser, répandre sur.
Par ailleurs, pascal < lat. vulg. paschalis < pascua = pâque < (a) lat. ecclés. pascha < grec paskha < araméen pasha< hébr. biblique pesah = le passage (sortie d’Égypte) + (b) pascuum = le pâturage, la pâture. L’appartenance de la sous-famille de pascal à la famille de pain tient donc essentiellement à un phénomène proche de l’étymologie populaire.

Domaines

La faune et la flore : bourse-à-pasteur, paître, panicaut, pâquerette, pâtisson, pâture, pâturin, repaître
Les groupes humains : compagne, compagnon, compagnonnage
Le corps : empâté, empâtement, empâter, panade (< occ.), panaire, pané, paner, paneterie, panetier, panière, panier-repas, panifiable, panification, panifier, panure, pastillage (< esp.), pastille (< esp.), pastilleuse (< esp.), pastis, pâté, pâtée, pâton, paturon, plateau-repas, repaître, repas, repu
L’habitat : panetière
Le travail manuel : appât, appâter, carton-pâte (hyb.), compagnon, compagnonnage, coupe-pâte, dépêtrer, empêtrer, grille-pain, pacage, pacager, paissonnier, panelier, panerée, panetier, paneton, panier, panier-repas, pâquis, pastelier, pasteur, pastoral, pastoureau, pâte, pâté, pâtée, pâteux, pâtis, pâtisser, pâtisserie, pâtissier, pâtissière, pâton, pâtre, pâturable, pâturage, pâturer, plateau-repas
Les arts : empâtement, empâter, pastel, pastelliste, pastiche (< it.), pasticher (< it.), pasticheur (< it.), pastorale, pastourelle
Les sentiments : accompagnateur, accompagnement, accompagner, compagnie, copain, copinage, copine, copinerie, coq en pâte, empêtré, raccompagner
La spatialité : patelin
La spiritualité : impanation, pâque (< gre.), pâques (< gre.), pascal, pascalien, pastoral, pastorat
Le travail intellectuel : pascal
La physique : pastel, pastelliste
La justice : apanage
La médecine : pasteurien, pasteurisation, pasteuriser, pastillage (< esp.), pastille (< esp.), pastilleuse (< esp.), pastorien
L’armée : compagnie
Divers : Pascal, Pascale, Pascaline, Pasteur

Commentaire

Commençons par le pain, même si ce n'est pas le sens premier de la rac. Le radical se cache à peine dans des mots comme le copain (celui avec lequel on partage son pain), le compagnon (même sens), accompagner, la compagnie, la compagne, la copine, paner (entourer de panure, c’est-à-dire de chapelure, donc de pain sec émietté). Étymologiquement, le pain se range dans un panier ou un paneton (petit panier) ou une panière (grand panier, grande corbeille). Le contenu du panier est la panerée. L’apanage est étymologiquement l’octroi de pain (de nourriture, de moyens de subsistance) à son fils ou sa fille. Être l’apanage de quelqu’un signifie être le droit propre de cette personne. Avec l’impanation, on entre dans ce qui fut l’essentiel des débats du concile de Trente en 1551. L’impanation est un synonyme de la consubstantiation, c’est-à-dire, en théologie, du dogme de la présence du Christ dans le pain et le vin de l’eucharistie, selon l’église luthérienne. À ce dogme s’oppose celui de l’église catholique, la transsubstantiation, qui considère qu’il y a dans l’eucharistie transformation de la substance du pain et du vin en celle du corps et du sang du Christ.
Le panicaut, un peu plus terre-à-terre, est un chardon, plus précisément le chardon bleu. L’étymologie pop. le rapproche de « panis » (le pain) et « calidus » (chaud) : ce serait un pain chaud car son contact provoque la même sensation de brûlure qu’un pain sortant du four. En fait, « caut- » vient plutôt de « carduus » (le chardon) : le panicaut est un « pain-chardon » car ses jeunes feuilles se mangent en salade.
Pour faire du pain, il faut de la pâte. Elle apparaît dans des termes comme l’appât, appâter, l’empâtement, empâter, pâteux, le pâtissier, le pâtisson, le pâton, le pâté, la pâtée.
La pâte est étymologiquement autant un mélange qu’une texture plus ou moins solide. C’est ce que nous rappelle le mot pastis : d’abord mélange, pâté, puis mélange liquide au goût anisé, puis, avec retour au sens premier, mais dans un sens figuré, embrouillamini. Le pastiche est proche du pastis : le terme désigne d’abord un pâté, puis, par dérision, en peinture, le travail que pourrait réaliser un pâtissier… Ce n’est que tardivement que le terme se généralise à la littérature ou à la musique et perd son caractère dépréciatif. Le mot pastille, quant à lui, renvoie aussi, étymologiquement, à la notion de pâte. Le terme pastel désigne d’abord la pâte obtenue en broyant des feuilles d’isatis, appelé aussi « guède ». Cette pâte sert à colorer en bleu. Le terme désigne ensuite tout bâton de pâte colorée servant à colorer selon la technique du pastel. Le terme désigne aussi, en concurrence avec le mot « isatis », la plante tout entière. Et le terme pastel, employé comme adj., renvoie à toute couleur de plus faible intensité que celle qui serait obtenue avec, par ex., une peinture à l’huile.
La notion première de la famille est en fait celle de pâture, l’herbe étant pour les herbivores l’équivalent du blé (du pain) pour l’homme, à savoir la base de l’alimentation. Le pasteur est d’abord un berger. De cette notion découlent des termes comme pastoral, le pastoureau, la pastourelle, le pâquis et le pâtis (lieu, dans un territoire communal, réservé au pâturage), le pâtre, pâturer, le pâturin (graminée commune utilisée comme fourrage), le pâturon (d’abord entrave utilisée pour empêcher les animaux de quitter le pâtis, puis partie de la jambe du cheval située entre le boulet et le sabot, où venait cogner l’entrave). Empêtrer, c’est entraver pour retenir dans une pâture. Le verbe repaître a donné le part. repu qui s’est d’abord utilisé pour qualifier un herbivore qui s’est rassasié d’herbe. Le mot repas renvoie lui aussi au verbe paître, de quoi conforter les végétariens et les végétaliens dans leur choix d’alimentation. Sur les mots pâquis et pâtis, on a formé le mot pâquelin (qui subsiste comme patronyme), qui a évolué en patelin. Le patelin est l’endroit où vivent les herbivores et ceux qui les gardent.
Restent quelques termes où la notion de pâture est plus discrète. C’est le cas de termes religieux : le pasteur, outre le berger, désigne le prêtre (catholique) ou le ministre du culte protestant. La métaphore se poursuit quand les croyants sont appelés les ouailles, c’est-à-dire les brebis. Le patronyme Pasteur (Louis Pasteur) a fourni en dérivation pasteuriser, pasteurien, pastorien et la pasteurisation.
Reste la sous-famille de pascal. Si le mot pâque renvoie à la pâque juive, pâques renvoie, lui, à la pâque chrétienne. D’où l’agneau pascal, d’où le prénom Pascal devenu patronyme, d’où la pâquerette qui fleurit à Pâques. Sur le philosophe - mathématicien janséniste Blaise Pascal est construit l’adj. pascalien.
Requiem pour trois métiers d’autrefois : le paissonnier était un « porcher qui conduisait les cochons en forêt, afin qu’ils se gavent de glands, de châtaignes et de faines ». Le panelier (ou panetier) était une « personne qui fabriquait des panetons et des corbeilles à pain, puis, par extension, des paniers ». Le pastelier « cultivait le pastel ». (Gérard Boutet, La France en héritage, Perrin, 2007)

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Abréviations et conventions concernant la langue :

abr. abréviation
adj. adjectif
adv. adverbe
a. fr. ancien français
c.-à-d. c’est-à-dire
cf. confer
ex. exemple
fam. familier
fém. féminin
hyb. hybride
id. idem, pareillement
loc. locution
masc. masculin
neut. neutre
part. participe
p.-ê. peut-être
plur. pluriel
pop. populaire
préf. préfixe
prép. préposition
pron. pronom
rac. racine
rad. radical
sing. singulier
subst. substantif
suff. suffixe
vb verbe


Abréviations et conventions concernant le latin :

bas lat. bas latin (à partir du IIIe siècle de notre ère)
lat. latin classique
lat. ecclés. latin ecclésiastique (langue des auteurs chrétiens à partir de la fin de l’Empire)
lat. imp. latin impérial (à partir de la fin du 1er siècle de notre ère)
lat. méd. latin médiéval (à partir du VIIe siècle de notre ère, langue écrite)
lat. pop. latin populaire (à partir du IIIe siècle de notre ère, et dont les formes ne sont pas attestées dans les textes) (1)
lat. vulg. latin vulgaire (à partir du IIIe siècle de notre ère, et dont les formes ne sont pas attestées dans les textes) (1)
grom gallo-roman = latin parlé au Moyen Âge
lat. bot. latin des botanistes


Abréviations et conventions concernant les autres langues :

alld. mot directement emprunté à l’allemand, mais d’origine latine
als. mot directement emprunté à l’alsacien, mais d’origine latine
angl. mot directement emprunté à l’anglais, mais d’origine latine
ara. mot directement emprunté à l’arabe, mais d’origine latine
bre. mot directement emprunté au breton, mais d’origine latine
celt. mot directement emprunté au celtique, mais d’origine latine
esp. mot directement emprunté à l’espagnol, mais d’origine latine
fran. mot directement emprunté au francique, mais d’origine latine
germ. mot directement emprunté au germanique, mais d’origine latine
it. mot directement emprunté à l’italien, mais d’origine latine
occ. mot directement emprunté à l’occitan, mais d’origine latine
piém. mot directement emprunté au piémontais, mais d’origine latine
port. mot directement emprunté au portugais, mais d’origine latine
prov. mot directement emprunté au provençal, mais d’origine latine

< alld. mot emprunté à l’allemand, mais d’origine latine
< als. mot emprunté à l’alsacien, mais d’origine latine
< angl. mot emprunté à l’anglais, mais d’origine latine
< ara. mot emprunté à l’arabe, mais d’origine latine
< bre. mot emprunté au breton, mais d’origine latine
< celt. mot emprunté au celtique, mais d’origine latine
< esp. mot emprunté à l’espagnol, mais d’origine latine
< fran. mot emprunté au francique, mais d’origine latine
< germ. mot emprunté au germanique, mais d’origine latine
< it. mot emprunté à l’italien, mais d’origine latine
< occ. mot emprunté à l’occitan, mais d’origine latine
< piém. mot emprunté au piémontais, mais d’origine latine
< port. mot emprunté au portugais, mais d’origine latine
< prov. mot emprunté au provençal, mais d’origine latine
i.-e. indo-européen
arg. argot
arc. archaïque