La Chair des mots

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GUEULE

Poésie

Aimer les mots. Aimer un mot. Le répéter, s’en gargariser. Comme un peintre aime une ligne, une forme, une couleur. (TRÈS IMPORTANT.)

Max Jacob, Conseils à un jeune poète

Étymologie

Gueule < lat. gula = l’œsophage, le gosier, la gorge, la bouche, la gueule < rac. i.-e. *gel / *ger qui signifie avaler.
De son côté, glouton < lat. imp. glutto = le gosier < même rac. i.-e.
Par ailleurs, gorge < gurges ou gurga = le tourbillon, le gouffre < sanscrit gargara = le tourbillon < même rac. i.-e.
De plus, vorace < vorax = toujours prêt à avaler < même rac. i.-e.
Enfin, goitre < a. fr. goitron = la gorge, le goitre < lat. vulg. gutturio = la gorge, le goitre < lat. guttur = la gorge.

Domaines

Les quatre éléments : égueulé, goulet
La faune et la flore : carnivore, dévorant, dévorateur, dévorer, dévoreur, engoulevent, fructivore, frugivore, gloutonnement, gloutonnerie, granivore, gueule-de-loup, gueulée, herbivore, insectivore, limivore, omnivore, piscivore, rouge-gorge, vermivore
Le corps : amuse-gueule, arrière-gorge, déglutir, déglutition, dégueuler, dégurgiter, dévorant, dévorateur, dévorer, dévoreur, engloutir, engloutissement, gargariser, gargarisme, glouton, goinfre, goinfrer, goinfrerie, gorge, gorgée, gorger, goulée, goulu, goulûment, gueuleton, gueuletonner, guttural, ingurgitation, ingurgiter, margoulette, omnivore, régurgitation, régurgiter, soutien-gorge, vorace, voracement, voracité
L’habitat : gargouille
Le travail manuel : brûle-gueule, coupe-gorge, dégorgement, dégorgeoir, dégorger, dégoulinade, dégoulinement, dégouliner, désengorger, égueulé, égueuler, engorgement, engorger, gargote, gargotier, gargouillement, gargouiller, gargouillis, gargoulette, gorger, goulette, goulot, goulotte, regorgement, regorger
Les sentiments : bégueule, casse-gueule, dégueu, dégueulasse, égorgement, égorger, égorgeur, engueulade, engueuler, entr’égorger (s’), gargariser, gueulante, gueulard, gueulardise, gueuler, rengorger (se), s’entre-dévorer, sanglot, sanglotement, sangloter
La communication : bagou, bagout, gueules, guttural, gutturale, jargon, jargonner, jargonnesque
La physique : énergivore (hyb.), fumivore, gorge-de-pigeon
L’économie : budgétivore, engloutir, engloutissement, margoulin
La justice : margoulin
La médecine : goitre, goitreux
Divers : Gargamelle, Gargantua, Grandgousier

Commentaire

La première nuance renvoie à la fonction, à savoir « avaler », et non à l’anatomie. Pour illustrer cette nuance, on peut citer carnivore, fructivore, frugivore, fumivore, granivore, limivore, piscivore, omnivore, herbivore, insectivore, énergivore, vermivore, budgétivore, déglutir, la déglutition, dévorer, engloutir, l’engoulevent (d’abord « l’homme qui boit beaucoup », puis « l’oiseau qui vole le bec ouvert »), glouton, la gloutonnerie, goinfre, la goinfrerie, ingurgiter, vorace, la voracité. Le mouvement est inversé dans dégueuler, dégurgiter.
Ensuite, on peut s’intéresser à la sous-famille la plus animale, celle du mot gueule, pour mordre, pour crier, pour parler quand le mot remplace le mot « bouche », avec des mots comme l’amuse-gueule, bégueule (qui garde la gueule béante), casse-gueule, dégueulasse, engueuler, la gueulante, gueulard, gueuler, le gueuleton, la gueulée, les gueules (en héraldique, la couleur rouge, figurée dans le dessin par des hachures verticales), égueuler (briser, ébrécher le bord ou le goulot d’un vase, d’une cruche). On peut ajouter dégouliner (littéralement, sortir en tombant (préfixe « de- ») de la gueule), le goulet, la goulette, la goulée, la goulotte, goulu, le goulot, la margoulette (avec mar- emprunté au normand et signifiant « mauvais », « sale », la margoulette étant donc littéralement « une petite gueule sale »).
Le terme margoulin a une histoire complexe : sur le rad. goul- (signifiant la gueule, puis « le visage »), le mot gouline, dans l’Ouest de la France, a désigné un bonnet de femme, et margoulin un bandeau sur la figure, la bride d’un bonnet de femme, d’où margouline, le bonnet, d’où margouliner, vendre de bourg en bourg, en particulier des mouchoirs, des fichus, d’où le margoulin, le petit commerçant, le commerçant peu scrupuleux en affaires, l’homme peu scrupuleux dans l’exercice de sa profession, le mauvais ouvrier, le spéculateur sans envergure. Toujours sur ce même rad., on trouve le bagou (orthographié aussi bagout par rapprochement populaire avec « goût »). Le bagou est un « bavardage (Littré) où il entre de la hardiesse, de l’effronterie, et même quelque envie de faire illusion ou de duper ». Littéralement, le bagou est une mauvaise (avec « ba- », suffixe dépréciatif, à moins qu’il ne s’agisse du rad. de béer, être béant, ouvert) bouche, un mauvais usage de la bouche.
La même rac. désigne aussi la gorge et le gosier. On relève alors l’adj. gorge-de-pigeon (d’une couleur à reflets changeants), le coupe-gorge, dégorger, désengorger, engorger, le dégorgeoir, gorger, la gorgée, le soutien-gorge, regorger, le rouge-gorge, régurgiter, se rengorger, égorger, s’entr’égorger. On peut adjoindre à cette nuance d’une part le goitre et guttural, et d’autre part des termes commençant par « garg- ». Le mot gargouille présente (Littré) une variante « garg- » du rad. « gorg- » : c’est une statuaire dont l’élément principal est un gosier, une gorge qui crache l’eau de pluie. Le gargouillis et gargouiller conservent de la gargouille le bruit de l’eau.
Le nom propre Gargantua serait aussi une illustration de ce sens de gorge, de gosier, à partir du languedocien « gargante », le gosier. Par plaisanterie, Rabelais explique le mot Gargantua par une exclamation de Grandgousier découvrant comment son fils ouvrait grand le gosier : « Que grand tu as [le gosier] ». De cette expression serait advenu le mot Gargantua. Même s’il le fait par plaisanterie, Rabelais colle à la vérité étymologique. Du coup, Gargantua porte le même nom que son père Grandgousier, avec la famille de gosier (cf. cette entrée gosier) pour l’un et celle de gueule pour l’autre. De plus, le nom de Gargamelle est directement emprunté à un prov. « gargamella » qui signifie aussi la gorge, le gosier, à partir d’un croisement entre « calamella », le chalumeau, et le rad. « gorg- » ou « garg- » désignant la gorge, « le gosier ». À cet ensemble, on peut ajouter le gargarisme, se gargariser, la gargote (mauvais restaurant où les clients se conduisent mal et font des bruits de gorge et de bouche et mangeant, comme les adultes que Jacques Brel campe dans Ces gens-là), le jargon (à partir de « gargon », avec la même évolution phonétique que dans « gamba » qui devient « jambe », le jargon est un bruit de gorge, de « le gosier », donc inintelligible).
Pour finir, on peut citer le mot sanglot qui est une altération du lat. « singultus », le hoquet, le hoquet de quelqu’un qui pleure, à partir de « gluttire », qui signifie « avaler ».

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Abréviations et conventions concernant la langue :

abr. abréviation
adj. adjectif
adv. adverbe
a. fr. ancien français
c.-à-d. c’est-à-dire
cf. confer
ex. exemple
fam. familier
fém. féminin
hyb. hybride
id. idem, pareillement
loc. locution
masc. masculin
neut. neutre
part. participe
p.-ê. peut-être
plur. pluriel
pop. populaire
préf. préfixe
prép. préposition
pron. pronom
rac. racine
rad. radical
sing. singulier
subst. substantif
suff. suffixe
vb verbe


Abréviations et conventions concernant le latin :

bas lat. bas latin (à partir du IIIe siècle de notre ère)
lat. latin classique
lat. ecclés. latin ecclésiastique (langue des auteurs chrétiens à partir de la fin de l’Empire)
lat. imp. latin impérial (à partir de la fin du 1er siècle de notre ère)
lat. méd. latin médiéval (à partir du VIIe siècle de notre ère, langue écrite)
lat. pop. latin populaire (à partir du IIIe siècle de notre ère, et dont les formes ne sont pas attestées dans les textes) (1)
lat. vulg. latin vulgaire (à partir du IIIe siècle de notre ère, et dont les formes ne sont pas attestées dans les textes) (1)
grom gallo-roman = latin parlé au Moyen Âge
lat. bot. latin des botanistes


Abréviations et conventions concernant les autres langues :

alld. mot directement emprunté à l’allemand, mais d’origine latine
als. mot directement emprunté à l’alsacien, mais d’origine latine
angl. mot directement emprunté à l’anglais, mais d’origine latine
ara. mot directement emprunté à l’arabe, mais d’origine latine
bre. mot directement emprunté au breton, mais d’origine latine
celt. mot directement emprunté au celtique, mais d’origine latine
esp. mot directement emprunté à l’espagnol, mais d’origine latine
fran. mot directement emprunté au francique, mais d’origine latine
germ. mot directement emprunté au germanique, mais d’origine latine
it. mot directement emprunté à l’italien, mais d’origine latine
occ. mot directement emprunté à l’occitan, mais d’origine latine
piém. mot directement emprunté au piémontais, mais d’origine latine
port. mot directement emprunté au portugais, mais d’origine latine
prov. mot directement emprunté au provençal, mais d’origine latine

< alld. mot emprunté à l’allemand, mais d’origine latine
< als. mot emprunté à l’alsacien, mais d’origine latine
< angl. mot emprunté à l’anglais, mais d’origine latine
< ara. mot emprunté à l’arabe, mais d’origine latine
< bre. mot emprunté au breton, mais d’origine latine
< celt. mot emprunté au celtique, mais d’origine latine
< esp. mot emprunté à l’espagnol, mais d’origine latine
< fran. mot emprunté au francique, mais d’origine latine
< germ. mot emprunté au germanique, mais d’origine latine
< it. mot emprunté à l’italien, mais d’origine latine
< occ. mot emprunté à l’occitan, mais d’origine latine
< piém. mot emprunté au piémontais, mais d’origine latine
< port. mot emprunté au portugais, mais d’origine latine
< prov. mot emprunté au provençal, mais d’origine latine
i.-e. indo-européen
arg. argot
arc. archaïque